L'onde de peur

La salle, éclairée par de nombreux et majestueux lustres, que l'on s'attendait bien sûr à apercevoir dans le château, de véritables cascades de cristaux azur et ambre, s'étendait, vaste et parsemée de nombreux professeurs, élèves, traversée de mille et unes conversations ; le brouhaha général n'avait d'égal que la profusion de couleurs et de parfums qui, telles des entités nonchalantes dérivant au gré de courants invisibles et inébranlables, emplissaient la pièce de leurs mille essences douces, pimentées, acidulées.. Un curieux, mais voluptueux sentiment s'infiltrait dans le coeur de quiconque laissait ses yeux traverser l'immense vue qui s'offrait ; le sol semblait tourner avec les pieds des danseurs innombrables, et ceux-ci effectuaient leurs pas si gracieusement, d'un seul tenant, que l'on se prenait à croire qu'ils oeuvraient ensemble à faire apparaître ce tourbillon de robes et de costumes, de chevelures et de visages.

Qu'il était agréable de découvrir cette vue. Qu'il était agréable d'apercevoir, de sentir, les bavardages, le flot langoureux des paroles couler du bout des lèvres, les sombres coffres, enfouis au plus profond des coeurs, cliqueter et hésiter à se livrer. Il n'existe de secret que l'on garde indéfiniment, et qu'une clé ne saurait ouvrir. Qu'elle prenne vie dans le vin, subtil et sirupeux breuvage embrumant l'esprit, l'affection molle et traîtresse, la lumineuse et si naïve confiance, toujours elle arrachait la brillante perle noire du fond des abysses et révélait à tous la honteuse découverte. Les yeux d'Adam brillaient eux-même à penser, sous les lustres de l'entrée, à toutes ces victimes en sursis. Un feu s'emparait de lui, et il manquait trembler quand tant d'êtres étaient rassemblés.
Il s'avançait lentement, ses pieds dévoraient une à une les dures marches de pierre. À son bras, une créature tempétueuse, vive, gracieuse, un mélange d'impressions qui la rendait plus qu'attirante. Un léger sourire adressé, et la plupart se seraient sentis bouleversés, frustrés de ne pouvoir déceler l'objet de ses pensées et la source inconnue de sa détermination. Enveloppée dans une robe blanche, qu'entourait un lambeau de soie noire reposant paisiblement sur une des hanches, elle avançait à son côté d'un pas léger. Lui-même avait une démarche ondulante, un serpent qui tournait autour de sa proie, et les regards qu'il adressaient à sa cavalière étaient remplis d'exaltation.

Leur entrée fut remarquée, on s'écartait à leur passage tandis qu'ils progressaient dans la salle. Certains connaissaient sans doute leur identité, mais d'autres étaient simplement intimidés par leur aspect. Ils formaient un véritable cocktail d'assurance et d'aisance, projetant sur tous les vagues silencieuses de leur habileté, et de leur soif de paix pour l'un, de vengeance pour l'autre.